Si nous devions choisir un seul mot pour définir The Killer, ce mot serait « élégance ». Rarement John Woo, au long de sa longue et riche carrière à Hong-Kong d’abord, puis aux États-Unis avant de revenir sur sa terre natale pour enfin poser sa caméra à Paris, aura fait preuve d’une telle élégance dans sa mise en scène, et ce dès la première minute de bobine. Tel un credo ou une ligne directrice, cette élégance se retrouve jusque dans la bande originale composée par Marco Beltrami à propos de laquelle il y a des choses à dire, et jusque dans le choix du lettrage qui ouvre le film. John Woo est un romantique, il l’a toujours été. Réduire son cinéma aux seules scènes d’action qui ont fait sa renommée internationale serait non seulement une erreur, cela reviendrait à passer à côté de son message, de son langage cinématographique, de ce qu’est un film de John Woo et à fortiori The Killer (2024).
La beauté et l’élégance d’une mise en scène au diapason
Comme cela était déjà le cas de « Silent Night » en 2023, les plus belles images du film de John Woo ne sont pas celles issues des quelques scènes d’action émaillant le métrage. Ce sont au contraire celles où le calme règne, où le cinéaste utilise le mouvement lancinant de la caméra pour raconter quelque chose sans jamais rien laisser au hasard. « The Killer » est sublime dès la première minute de bobine, avec cette caméra toujours en mouvement et très naturelle, se fondant avec le décor pour mieux dessiner ses contours. Comme l’ont fait tous les grands de ce monde avant lui, John Woo compose son cadre comme s’il s’agissait d’une toile. Aucune image n’est due au hasard, il compose, il créé, il raconte par le langage du cinéma. Le résultat à l’écran est le fruit de toute son expérience et de sa sensibilité. « The Killer » est ce qu’il est parce que John Woo est le chef d’orchestre de ce ballet d’images. Sans lui, ce serait un film parmi tant d’autres. C’est le propre des plus grands artistes que de créer une œuvre à son image. Aujourd’hui, seul John Woo peut faire un film comme John Woo. De même que seul George Miller pouvait faire « Furiosa », ou Coppola avec son « Megalopolis ». Quand on aime sincèrement le cinéma du maître, « The Killer » est à voir absolument ne serait-ce que pour la maestria de la mise en scène d’un cinéaste au sommet de son talent.
Le film s’ouvre sur l’appartement de Zee, en hommage direct au film de Jean-Pierre Melville, « Le Samouraï », qui a inspiré le « The Killer » de 1989 avec Chow Yun-Fat. Dans le film avec Alain Delon, il y a une perruche en cage qui chante et apporte un peu de vie à une pièce lugubre et grisâtre. Ici, c’est un poisson rouge en bocal qui apporte une touche supplémentaire de gaieté. Le jour illumine l’intérieur, des fleurs très colorées sont visibles, l’appartement est très cozy et accueillant, nous renvoyant une image idyllique du studio parisien situé sur les hauteurs de la capitale française. Dès l’ouverture, on comprend que « The Killer » sera un film lumineux.
L’hommage à Alain Delon persiste le temps d’un plan emblématique où Zee essaie et ajuste un chapeau à la manière de Jeff dans le film « Le Samouraï ». Ce plan bien amené mettra un sourire sur le visage du cinéphile averti.
Une relecture en forme d’émancipation
De l’original de 1989, « The Killer » partage le postulat de départ ainsi que quelques clins d’œil que seuls les fins connaisseurs reconnaîtront. Si l’annonce de la mise en chantier du projet a pu laisser perplexe, au regard de l’aura et de la majesté du chef-d’œuvre qui figure parmi les plus grands films d’action dans l’histoire du cinéma mondial, force est de reconnaître que « The Killer » parvient à exister par et pour lui-même, tout en offrant un écrin de choix à John Woo qui se montre ici sous son jour le plus romantique et malicieux. De la malice, le maître en a à revendre avec l’apport d’un humour léger qui fait du bien pour un film du genre. Pas cet humour forcé à base de punchlines éculées façon Marvel, plutôt un humour à la française, empreint de complicité entre les deux protagonistes incarnés par le grand costaud Omar Sy, particulièrement imposant et bien mis en valeur, et la jeune Nathalie Emmanuelle qui alterne entre sensualité (cf. la scène d’ouverture au club), légèreté presque enfantine et combativité féroce (l’affrontement final réalisé sans CGI et sans doublure hormis les prouesses les plus dangereuses).
La façon dont John travaille avec la caméra, je n’avais encore jamais eu une telle relation avec elle. La caméra est si proche, elle est comme un partenaire avec vous et c’était la première fois que je me comportais comme ça sur le plateau avec la caméra. [Comme si elle dansait avec nous.]
Omar Sy (et Nathalie Emmanuel)
C’est avec un plaisir non dissimulé que nous retrouvons Tcheky Karyo en styliste gentleman, bien loin des rôles de méchant qui ont grandement participé à sa renommée dans les 90’s. Eric Cantona est lui aussi convaincant en parrain mafieux qui ne se laisse dicter sa conduite par personne. Sam Worthington compose un bon méchant, certes pas mémorable mais suffisamment naturel pour que sa relation d’amour haine avec Zee fonctionne jusqu’au climax qui ridiculise instantanément les chorégraphies de close combat des productions Marvel. John Woo est un maître et il démontre encore une fois lorsque l’action se déchaîne, que ce soit dans les rues de la capitale française ou dans l’intimité d’une église désacralisée. Nathalie Emmanuel était taillée pour le rôle, se donnant sans compter en exécutant ses propres cascades, chose aussi spectaculaire que rare dans le paysage cinématographique moderne, ultime héritage du cinéma d’action de Hong-Kong dont John Woo est l’un des derniers représentants. La boucle est bouclée, l’histoire et l’homme deviennent légende.
C’est un homme de peu de mots, mais il sait vous dire tout ce qu’il a à dire et faire en sorte qu’arrive ce qui doit se passer. Il voit tout, comme s’il voyait dans son esprit. Il était très facile de lui faire confiance.
Nathalie Emmanuel
Une bande originale lyrique en forme d’hommage à Ennio Morricone
Des références à la musique d’Ennio Morricone sont perceptibles à travers le sifflement et la guimbarde, succédant à l’harmonica du premier film. L’instrumentation varie, allant d’un saxophone désuet, rappelant les films noirs des années 70, à des compositions résolument jazz, avec percussions et ligne de basse prononcée, nous plongeant dans le Morricone des Giallo. Un apport lyrique est donné par une soprano, tandis qu’une association de guitare électrique et de trompette triomphante nous fait penser à « Mission Impossible ». […] Dans une ambiance nostalgique, cette BO inclut même une reprise d’un morceau de François de Roubaix, « Costello Dans la Ville », pour « Le Samouraï » (1967) de Melville.
Cinezik.org
Une des très grandes surprises de « The Killer » est Marco Beltrami, compositeur d’habitude plutôt considéré comme de second plan, qui nous livre ici ce qui sont sans nul doute les plus belles partitions de sa carrière. Les bandes-annonces et autres extraits du film ne nous laissaient clairement pas présager une telle bande originale à la fois lyrique, mélancolique et touchante, faisant ressurgir sans crier gare des souvenirs de cinéphiles enfouis. On ressent dès l’écoute des premières notes que le cinéma français de Jean-Pierre Melville ne lui est pas étranger et qu’il a parfaitement compris et su retranscrire en musique l’essence même du romantisme de John Woo et de son langage cinématographique. En voici quelques morceaux choisis.