Pour commémorer la réédition sur support vinyle de la célèbre bande originale du film de Paul Verhoeven, le cinéaste et la fille du compositeur replongent dans leurs souvenirs et nous partagent anecdotes et envers du décor de cette époque riche et passionnante, lorsque Basil Poledouris s’attelait une nouvelle fois à la tâche pour donner vie à ces partitions qui resteraient à jamais gravées dans le cœur des cinéphiles. Conan le Barbare, La Chair et le Sang, RoboCop, À la poursuite d’Octobre Rouge, même sans connaître son nom vous avez sans doute déjà vu un des films sur lequel il a travaillé. Ses compositions épiques sont de celles que l’on oublie pas et que l’on réécoute avec plaisir et non sans une pointe d’émotion et de nostalgie. Elles confèrent au film une dimension opératique, presque mythologique. Le langage cinématographique peut tout à fait se passer de dialogues et vivre au rythme de la musique pour raconter quelque chose et transmettre des émotions, comme s’ils avaient su garder le meilleur du cinéma muet tout en embrassant la modernité.
Paul Verhoeven se souvient de Basil Poledouris, une collaboration placée sous le signe de l’amitié
Paul Verhoeven : Basil Poledouris et moi avons commencé notre collaboration en 1984, lorsque mon monteur et moi utilisions des pistes temporaires – ils le font toujours aujourd’hui – en utilisant principalement de la musique d’autres films, parfois de la musique classique, pour mettre en scène les séquences afin de voir si le montage fonctionne. Souvent, une scène qui peut paraître un peu ennuyeuse, quand on ajoute de la musique, peut soudainement paraître bien meilleure. Il est intéressant de noter que si vous mettez différentes pistes temporaires sous une scène, vous la regarderez de différentes manières. Une bonne partie de notre piste temporaire provenait de Basil Poledouris, et c’est à partir de là que notre relation de travail a commencé. Basil et moi discutions du type de musique qui conviendrait le mieux à chaque projet sur lequel nous travaillions. Nous écoutions aussi beaucoup de musique classique moderne du XXe siècle. Basil était fan de Prokofiev et moi de Stravinsky.
Il a été grandement influencé par son « mentor », Miklós Rózsa, le merveilleux compositeur qui a travaillé avec William Wyler, Alfred Hitchcock et Billy Wilder. Basil pensait que les musiques de film de Rózsa étaient les meilleures que l’on puisse faire, et je suis sûr qu’il a été en partie influencé par lui lorsqu’il a composé pour nos films.
Paul Verhoeven
Basil se mettait au piano et improvisait sur différents thèmes et les essayait. Aujourd’hui, nous pouvons le faire numériquement avec un orchestre complet. Vous pouvez sortir tous les différents instruments de votre ordinateur mais à l’époque, il n’y avait que le piano. Donc, dans votre tête, vous deviez traduire le piano en tous ces différents instruments. S’il n’est pas si difficile de transformer le piano en cordes, c’est beaucoup plus problématique – pour moi – de le traduire en instruments à vent et en cuivres lourds que Basil utilisait beaucoup.
Il proposait toujours quelques bons thèmes qui semblaient fonctionner pour nos films. Mais ce qu’il avait vraiment composé n’est devenu clair pour moi que lorsque nous sommes allés à l’enregistrement, et que j’ai véritablement entendu la musique pour la première fois, avec un orchestre complet. J’ai trouvé ça fantastique. Parce que j’avais écouté le piano en permanence et soudain, ce n’était plus seulement le piano mais les cors, les tambours, les trompettes ou la harpe. La transition de la musique de piano à la véritable partition instrumentale était stupéfiante. J’étais époustouflé.
Nos précédentes collaborations ont été enregistrées à Londres, mais Starship Troopers l’a été sur le plateau de Sony Pictures à Los Angeles. Ce fut vraiment la seule différence, le reste de l’expérience a été presque la même. La seule chose que Basil a dit au début, quand il a commencé à travailler sur la bande originale, c’était : « J’ai besoin de beaucoup de percussions. » Et il en a eu beaucoup, nous avions des pistes entières de percussions ! Il a travaillé avec un spécialiste et Basil a construit toute la bande originale de Starship Troopers sur elles – qui, d’une certaine manière, représentaient les dangereux Arachnides.
Pour moi, la musique que Basil a composée pour les funérailles spatiales de Dizzy Flores est la plus belle qu’il ait jamais écrite.
Paul Verhoeven
À ce moment-là, Basil et moi avions appris à nous connaître socialement, en allant dîner ensemble avec nos épouses. En fait, la fille de Basil, Zoë, une musicienne talentueuse, chante une chanson de David Bowie et une de ses chansons originales dans le film pendant la scène du bal de fin d’année.
La dernière fois que j’ai vu Basil, c’était à la télévision lorsqu’il dirigeait son orchestre lors d’un festival en Espagne. Il est décédé peu de temps après. Mais sa merveilleuse musique est toujours avec nous.
Paul Verhoeven
Propos recueillis en avril 2022.
Souvenirs de Zoë Poledouris
Zoë Poledouris : Mes souvenirs de Starship Troopers sont tous très GRANDS. Ce devait être la plus grande production dirigée par Paul Verhoeven, l’un des collaborateurs réguliers et bon ami de mon père. Ayant travaillé ensemble sur deux films précédents, leur rapport était riche de nouvelles idées. La phrase « C’est GRAND » a été entendue plus d’une fois dans ma famille lorsque l’on parlait de ce projet. Les insectes seraient énormes, les scènes de bataille – énormes ! Une fois qu’il a été engagé pour composer la musique avant même le début du tournage, ce qui était rare, le choix immédiat de mon père a été de baser toute la partition sur certaines des œuvres les plus reconnaissables de son compositeur classique préféré, Igor Stravinsky. Je me souviens de lui parlant avec passion de la façon dont le chaos des essaims d’insectes extraterrestres serait rendu numériquement et chorégraphié tel un ballet de science-fiction de folie et de carnage – parfait pour une partition cacophonique et entraînante de style symphonique jouée par un très grand orchestre. Mon père a apprécié ce temps supplémentaire passé à poser les bases conceptuelles de la partition avec Paul, qui était tout aussi enthousiaste et encourageant.
Un jour, mon père a fait écouter une démo de chanson à Paul, sans lui dire que c’était la mienne. Paul a trouvé le son suffisamment étrange pour être futuriste, ce qui en faisait une chanson parfaite pour servir de toile de fond à une énorme séquence de bal étudiant dans le film. Enthousiasmé par cette opportunité et avec les conseils de production de l’ingénieur expert Terry Becker, j’ai étoffé ma chanson, « Into It ». La production m’a également demandé de reprendre un titre de David Bowie, « Oxford Town », et c’est ainsi que les deux chansons ont été interprétées à l’écran. Sur le plateau, mon père nous a regardé exploiter les nouveaux enregistrements dans le décor glamour ultra-futuriste de Verhoeven, aux côtés des personnages principaux et de centaines de figurants pendant deux nuits complètes de tournage.
L’enregistrement de l’orchestre pour Starship Troopers a eu lieu sur la scène austère et très grande de Sony Pictures. Le terrain n’était pas loin du studio de papa, appelé Blowtorch Flats, à Venice. Il y avait de nombreuses merveilles technologiques nouvelles à l’époque lors de ces séances, non seulement pour l’animation numérique à l’écran, mais aussi pour les champs audio en surround 7.1 et divers nouveaux filtres appliqués aux mixages musicaux. Toute l’équipe de Blowtorch Flats était présente quotidiennement : Tim Boyle, sa fille Brigit, Curtis Rousch, Eric Colvin, Julia Michaels et comme toujours, ma mère, qui était là tous les jours dans son rôle essentiel consistant à maintenir la cohésion de l’ensemble.
On avait l’impression d’un véritable travail d’équipe et à la fois d’une affaire de famille.
Zoë Poledouris
« Klendathu Drop » est mon morceau préféré du film. La tension de la musique soutient parfaitement la peur et l’anticipation ressenties par les personnages. Je pense également que c’est l’un des meilleurs exemples où les merveilleux effets sonores dansent magnifiquement avec la musique. Les défis tragiques et apparemment insurmontables auxquels nos héros sont confrontés ne s’arrêtent pas une fois qu’ils se lancent et la musique les suit comme un projecteur émotionnel.
Zoë Poledouris
Propos recueillis en août 2022.