Rebel Moon Director’s Cut, quand Zack Snyder ressuscite le space opera

Des siècles durant, le Monde-Mère étendit son empire à travers la conquête spatiale. Lorsque la famille royale recueillit la princesse Issa, possèdant de rares dons de guérison, elle a vu l’espoir de parvenir à unifier l’empire non plus par la force, mais par la compassion. Malheureusement, la famille royale fut assassinée et un politicien ambitieux, le sénateur Balisarius, s’autoproclama régent du Monde-Mère, relançant alors la politique de conquête. Sur la lune Veldt, une petite communauté de fermiers reçoit la visite de l’amiral Atticus Noble, chef des armées du Monde-Mère et bras droit de Balisarius. Bien vite, les pacifiques habitants de Veldt découvrent la cruauté et la brutalité de leurs visiteurs. Malgré des désaccords, ils décident d’envoyer Kora, une étrangère recluse récemment arrivée sur la lune, afin de rassembler une équipe de guerriers aptes à les protéger contre l’amiral et ses troupes sanguinaires.

Initialement prévu pour être une nouvelle trilogie « Star Wars » officielle pour le compte de Lucasfilm, le cinéaste Zack Snyder fit le choix de la liberté pour son nouveau bébé et créa sa propre vision d’une galaxie lointaine, très lointaine, bien plus mature, oscillant habilement entre une imagerie rappelant les heures les plus sombres de notre histoire et un lyrisme poétique comme une lettre d’amour aux petits détails insignifiants de la vie, porteurs de sens et d’espoir. Disons-le de suite, il s’agit de son film le plus lumineux. Si le projet a évolué au fil des années, depuis que Snyder l’a présenté pour la première fois à Lucasfilm alors qu’il était en post-production sur « Man of Steel », l’idée initiale est demeurée la même. « C’était Les Sept Samouraïs dans l’espace ». Effectivement et nous allons y revenir, « Rebel Moon Director’s Cut » s’impose comme l’un des tout meilleurs remakes du chef-d’œuvre intemporel d’Akira Kurosawa, actant le passage de Zack Snyder de cinéaste visionnaire, spécialiste des adaptations de comic books exigeants, au statut d’auteur à part entière. La boucle est bouclée.

Si l’idée de Snyder d’un film « Star Wars » rendant ouvertement hommage aux œuvres qui ont inspiré George Lucas était plutôt convaincante et enthousiasmante, plusieurs raisons ont fait que le projet n’a jamais abouti dans le cadre du plus célèbre space opera du cinéma mondial. « La vente de Lucasfilm à Disney venait juste d’avoir lieu », explique Snyder. « Il y avait cette fenêtre où, vous savez, qui sait ce qui est possible ? Je me suis dit, je ne veux rien faire avec des personnages connus, je veux juste faire mon propre truc à côté. Et au départ, je me suis dit, il devrait être classé R ! » Ce parti pris était bien sûr rédhibitoire pour Disney qui vise le très grand public, le consensuel et le politiquement correct pour maximiser les profits, rassurer les investisseurs et montrer patte blanche à la pensée dominante.

Si « Rebel Moon: Director’s Cut » présente son lot d’hommages visuels et narratifs empruntés à « Star Wars », Zack Snyder s’est également inspiré d’un large éventail de sources culturelles, artistiques et architecturales pour donner vie à sa galaxie.

Mythologie et influences

Tout comme « Star Wars » mélange des éléments de science-fiction, de fantasy et de mythologies, « Rebel Moon: Director’s Cut » le fait aussi à sa manière. Pour citer un exemple, l’une des espèces extraterrestres représentées est une créature ailée très similaire aux griffons de la mythologie européenne. Zack Snyder fait remarquer un détail dans la scène où l’un des héros, Tarak, doit dompter la créature afin de racheter sa liberté.

Un détail à noter est que lorsque Tarak regarde le bennu sur sa petite amulette, ce qui est un détail vraiment minuscule (il a un tout petit bennu sur son collier). Tarak n’est plus sur sa planète natale, mais ces créatures viennent du même endroit que lui. Il partage un lien et une compréhension très profonde avec ces créatures. C’est ce genre de choses, cette compréhension de qui est Tarak et d’où il vient, qui permet ce genre de détails dans la scène.

Zack Snyder

La langue que Tarak parle au bennu est sa langue maternelle, qui selon Snyder a été développée par l’expert linguistique du film et s’inspire en partie de l’héritage russe de Staz Nair. « Cela lui a permis d’être naturel avec la langue. Parce que si vous avez une aptitude pour une certaine façon de phrasé ou des formes sonores, cela rend la langue plus facile à parler. »

Outre « Star Wars », Zack Snyder cite également Heavy Metal Magazine et des films allant de « Excalibur » à « Les Sept Mercenaires » et naturellement « Les Sept Samouraïs » comme influences majeures. Il est tout aussi pertinent de rappeler que George Lucas s’est lui aussi fortement inspiré des films d’Akira Kurosawa.

« J’ai toujours admiré Kurosawa en grandissant, très inspiré par la façon dont il utilisait les aquarelles et le dessin pour informer ce qu’il allait faire avec la prise de vue et la visualisation. Ces films, notamment Le Château de l’Araignée, ont eu une grande influence sur moi, dans presque tous les films que j’ai faits. »

Zack Snyder

Au fur et à mesure que l’écriture du script progressait, Snyder et ses co-scénaristes ont développé la mythologie et l’histoire de l’empire de la Mère-Monde et de sa famille royale, ainsi que les différents royaumes qu’ils dominent.

« Nous avons dû tout étayer, tous les mythes que nous commencions à créer autour des détails du monde. Et ce sont les détails de ce monde qui ont lancé le processus de construction d’une réalité mythologiquement cohérente. La tâche fut très complexe et difficile. Nous voulions faire attention à ne pas nous retrouver dans une impasse avec un canon. Parce que le canon de cet univers devient une sorte de pierre de Rosette vers laquelle tout le monde doit se tourner si nous faisons, par exemple, une bande dessinée, un court métrage d’animation ou quoi que ce soit d’autre. Ils ont besoin d’une pierre de Rosette où ils peuvent se dire : « Ok, c’est la loi. Donc, nous ne pouvons pas la violer. » C’est pourquoi nous avons essayé d’élargir toutes ces idées afin de ne pas nous contredire à mesure que nous avancions. »

Zack Snyder

Netflix et L’art du compromis

En échange d’une liberté créative totale, la seule contrainte imposée par Netflix dans le contrat signé fut de livrer deux films de deux heures, classés PG-13, à destination du jeune public. Si Zack Snyder montait ces versions édulcorées et tronquées, il avait le champ libre pour immédiatement donner vie à sa vision à travers la désormais incontournable « Director’s Cut ». Le cinéaste n’hésita pas une seconde, car les enjeux étaient clairs dès le départ et il se savait respecté en tant que créateur. Cela était d’autant plus important après le douloureux épisode « Justice League », où il fut méprisé et vit son œuvre piétinée par le studio Warner Bros, alors que sa fille Autumn venait de mettre fin à ses jours.

Pour rappel, le film « Justice League » sorti est salles en 2017 a été entièrement tourné par Joss Whedon, avec environ dix minutes de bobine de Snyder à l’écran. La version de quatre heures de Zack Snyder, dévoilée au public après bien des déboires, ne contient aucune image tournée par Whedon et parachève sa trilogie super-héroïque. Lorsque s’ouvre le générique de fin, il dédie le film à sa fille décédée, un moment très fort, très émouvant, pour qui connaît l’histoire derrière les paillettes.

« Rebel Moon: Director’s Cut » est un film sans concession, qui explore jusqu’aux tréfonds de la vision de son auteur. Dans la séquence d’ouverture absente de la version tout public, le général Atticus Noble débarque sur un monde paisible. Il est à la recherche de deux combattants de la liberté qui menacent la domination de l’Imperium galactique. La séquence est pure folie et donne le ton de ce qui va suivre. Des femmes sont déshabillées, nues, et marquées au fer rouge des insignes de l’Imperium. Un homme fait ses adieux à un animal de compagnie de la famille – une petite créature ressemblant à un gremlin. Quelques secondes plus tard, le gremlin se fait exploser, causant des dégâts considérables aux envahisseurs. À la 17e minute, un enfant est forcé d’assassiner son père avec un morceau d’os ; des personnages étranges aux allures morbides ramassent les dents du père et les ajoutent à un tableau macabre. Noble exécute quand même la famille sans faire preuve de la moindre once d’humanité.

Non seulement cette séquence est choquante, très brutale et graphique, mais elle est aussi un indicateur pour le reste de « Rebel Moon – Chapitre 1 », désormais sous-titré « Calice de sang ». La durée totale de l’œuvre s’élève désormais à 6 h 17. Peu de cinéastes, en dehors peut-être Ridley Scott, ont autant utilisé la Director’s Cut que Zack Snyder. Entre ses mains, elles offrent non seulement une vision audacieuse et sans compromis, mais constituent également un argument de vente.

En tant que cinéaste, je n’ai rien contre les versions PG-13. Idéalement, le public aurait vu les versions R en premier, mais il y a une réalité là-dedans. Je suis reconnaissant envers Netflix d’avoir été incroyablement indulgent en nous laissant faire ces versions folles qui ne devraient pas exister.

Zack Snyder

Un style reconnaissable entre mille

Zack Snyder a un style visuel unique, à base de cadres picturaux maîtrisés à la perfection que viennent exacerber des ralentis. John Woo utilisait déjà abondamment la technique du ralenti, qu’il avait lui-même repris de Sam Peckinpah. Dans les films de Zack Snyder, le ralenti sert à souligner l’action, mais aussi et surtout à recréer sur pellicule les cases d’un comic book. Le résultat à l’écran n’est jamais le fruit du hasard, et les plans iconiques se succèdent, imprimant la rétine du spectateur. Dès les premières minutes, on sait que nous sommes en présence d’un film de Zack Snyder. Paul Verhoeven avait aussi ce truc, cette patte visuelle immédiatement identifiable. La marque des grands.

Zack Snyder a souvent expliqué en interview qu’il aime l’utiliser comme un moyen d’embellir certains des moments les plus héroïques que les personnages traversent dans leurs voyages personnels. La clé d’un bon ralenti est de garder l’action vivante.

Le plus beau personnage du film, et le plus lumineux, est… un robot

Le matériel supplémentaire mettant en vedette Jimmy, un robot ancien en quête d’une raison d’exister et auquel Anthony Hopkins prête sa voix, magnifique de candeur, de retenue et de poésie, figure parmi ce dont Zack Snyder est le plus fier.

Il y a ces scènes avec Jimmy où il est dans la nature, s’interrogeant sur sa place dans l’univers de manière très poétique, avec des sonnets d’Anthony Hopkins sur ce que signifie être Jimmy. La grande scène, bien sûr, est celle où Kora et Jimmy se rencontrent derrière la cascade et ils ont leur discussion philosophique sur ce que signifie être un guerrier et servir un roi. Et je pense que c’était nécessaire pour l’établir comme quelque peu sceptique afin qu’il puisse lui-même comprendre quel serait son rôle. C’est un honneur d’avoir Anthony Hopkins pour prêter sa voix à ce personnage. Et comme je l’ai dit, si vous êtes fan de Jimmy, vous avez droit à un banquet complet dans la Director’s Cut.

Zack Snyder

J’ai parlé à Tony au téléphone et lui ai dit : « Écoute, j’ai un personnage dans le film qui est en quête de son humanité. Il est comme un chevalier brisé qui a besoin d’être racheté et de trouver la raison de son existence. » Et Tony a dit : « Ça a l’air incroyable. » Au début, il ne savait même pas que c’était un robot. Mais je pense que cette partie l’a intrigué. Quand nous sommes allés enregistrer la première fois, il faisait une voix de robot beaucoup plus métallique. Je lui ai dit que ce n’était pas grave d’être simplement un homme, et une fois qu’il a compris cela, tout a pris sens pour lui. Il a adoré l’idée que Jimmy soit en quelque sorte le personnage le plus humain du film, avec le plus de problèmes humains. Il a adoré l’ironie de cela et il riait toujours en disant : « Je suis le robot avec le plus de cœur. »

Zack Snyder

Jimmy est l’un des « Sept » qui prennent part à la bataille finale pour protéger les fermiers. Ayant trouvé une raison à son existence, il se jette dans la mêlée donnant lieu à un des moments forts du film. Le personnage est peut-être le plus réussi du long-métrage, du moins le plus marquant du côté des héros. À savourer en version originale pour profiter de la grâce d’Anthony Hopkins.

Le message d’amour de Charlie Hunnam à son personnage

C’était un vrai cadeau. J’ai eu la chance, dans ma carrière, de jouer avec de nombreux personnages vraiment merveilleux. Mais Kai est vraiment quelqu’un de spécial. Il a évidemment ses défauts, disons-le simplement, mais… on ne sait jamais vraiment ce qu’il va faire. […] Kai m’a tout simplement sauté aux yeux. Il y a quelque chose qui arrive très rarement dans une carrière – je vais essayer de le dire humblement, même si cela peut paraître arrogant – quand on lit un scénario et qu’on se dit : « J’ai l’impression de peut-être mieux comprendre ce personnage que quiconque. »

Charlie Hunnam

Je me suis dit : « Je veux protéger Kai de quelqu’un qui le maltraite et le joue comme un méchant » parce qu’il ne l’est pas pour moi. C’est juste quelqu’un qui a traversé un énorme traumatisme. Il a été battu. Il vit dans un régime autoritaire extrêmement dur et il s’est créé ce petit espace pour lui-même, où il peut se tenir debout, où il peut être libre. Il a le pouvoir et l’autonomie sur sa vie, quelque chose que très peu de gens ont, et il n’est pas prêt à compromettre cela pour quoi que ce soit. Et cela l’oblige à prendre des décisions vraiment difficiles.

Charlie Hunnam

Sofia Boutella, à toute épreuve

Elle est incroyablement douée physiquement. Elle est très athlétique et son expérience en danse fait d’elle une parfaite cascadeuse à bien des égards. Faire un film d’action est avant tout une question de chorégraphie : celui contre qui vous vous battez va vous donner un coup de poing. Vous devez savoir où il va atterrir. Vous devez être capable de réagir, de l’esquiver ou quoi que ce soit que vous êtes censé faire. Sans la capacité à comprendre la répétabilité de ces actions physiques et de pouvoir être précis, cela peut être problématique, vous pouvez l’imaginer. Sa capacité à non seulement faire la chorégraphie, mais aussi à jouer le moment présent dans la chorégraphie, c’est ça le truc. Il y a probablement beaucoup de gens qui pourraient danser cette danse. Mais la partie émotionnelle, ce qui se passe ici en même temps, c’est ce que vous obtenez de Sofia.

Zack Snyder

Djimon Hounsou, le vétéran vénérable

Titus était un stratège féroce. En termes d’histoire, mon investissement direct dans cette histoire résonne vraiment fort étant donné que je viens d’Afrique. La nature de ce continent, ce qu’il a surmonté, je veux dire qu’il n’a même pas réussi à surmonter quoi que ce soit, mais il a survécu à tant de choses. L’endoctrinement de ce continent, je peux le voir dans le film. Je peux le ressentir et c’était extrêmement tangible pour moi et pour Titus.

Djimon Hounsou

Le mot de la fin de Zack Snyder

L’orange est une couleur qui n’est pas très utilisée dans les films. C’est une couleur difficile à intégrer dans une palette et à mettre en avant. Même Veldt est surtout éclairée la nuit par Mara, donc elle a cette teinte orange tout le temps. C’est la couleur du coucher de soleil, donc c’est la couleur de ce que je considère, sans utiliser de cliché, comme « l’heure magique ». Je voulais que Veldt vaille la peine de se battre et de se défendre. J’avais l’impression qu’un endroit baigné en permanence dans la chaleur d’un coucher de soleil serait comme « plus chez soi que chez soi ». Le fait qu’il touche à l’iconographie de la vie dans un coucher de soleil perpétuel était ce qui, selon moi, connecterait le spectateur à cet endroit idyllique – l’idée que Veldt est cette maison ancestrale pour nous tous.

Zack Snyder