The Hitcher, ou la fin de l’innocence

Par une nuit noire et pluvieuse, alors qu’il voyage seul sur une route déserte en direction de la Californie, un jeune homme, Jim Halsey (C. Thomas Howell) prend en auto-stop John Ryder (Rutger Hauer), un personnage inquiétant et énigmatique. Très vite, Jim comprend qu’il s’agit d’un tueur psychopathe, le sinistre inconnu ne cherchant même pas à s’en cacher. Commence alors pour lui un voyage long et terrifiant, à la fois traqué par le tueur et pris pour cible par la police, qui le rend responsable des meurtres que commet Ryder, ce dernier ne laissant que des corps mutilés dans son sillage. N’ayant personne à qui se confier, excepté Nash (Jennifer Jason Leigh), une serveuse qu’il se voit contraint de prendre en otage, le jeune homme se retrouve pris au piège d’une spirale de violence que rien ne semble pouvoir endiguer. Pour une raison qu’il ignore, le tueur semble l’avoir choisi à dessein, comme s’il attendait quelque chose…

Nous ne voulions pas expliquer clairement pourquoi il faisait ce qu’il faisait, mais nous voulions fournir juste assez d’informations pour que le spectateur ait matière à réflexion.

Robert Harmon, réalisateur

Quatre fois primé au Festival du film policier de Cognac, remportant le Grand Prix, le Prix spécial du jury, le Prix de la critique, ainsi que le Prix du public, « The Hitcher » est l’un des grands succès internationaux de l’année 1986, figurant même parmi les films préférés de Stephen King.

Le voyage sera pour Jim celui de la fin de l’innocence, lui qui est toujours sous tutelle maternelle et cherche à s’en émanciper. Ce que Ryder va lui faire endurer, tel un chat jouant avec une souris, s’apparente à un long viol psychologique où l’intégrité du jeune homme va être mise à rude épreuve. Les véritables motivations du tueur à son égard se révèleront progressivement, jusqu’à un climax à l’issue duquel subsistera un doute pernicieux dans l’esprit du spectateur. Quand on évoque « The Hitcher », on parle souvent de la prestation inoubliable de Rutger Hauer, pourtant si gentil et professionnel dans la vraie vie. Son personnage est à l’opposé de l’homme, du comédien, dont on découvre un portrait humain et attachant à travers le documentaire inédit disponible en bonus du blu-ray. Mais on ne parle pas suffisamment de C. Thomas Howell dont la performance est toute aussi habitée, faisant jeu égal bien que dans un registre différent avec le charme vénéneux de son homologue. L’illusion est totale, et le jeu des deux comédiens emporte le film vers un au-delà, tout là-haut au firmament.

Aux origines du scénario d’Eric Red

Quand le scénariste Eric Red avait 20 ans, il réalisa un court-métrage intitulé « Gunman’s Blues » dans l’espoir qu’on lui donne l’opportunité de réaliser un long-métrage. Lassé d’attendre une offre qui n’arriva jamais, il déménagea de New York à Austin, au Texas, traversant le pays en voiture. En conduisant d’une ville à l’autre, il eut l’idée d’un film inspirée par la chanson du groupe The Doors, « Riders on the Storm ». Il constata que « les éléments de la chanson – un tueur sur la route dans une tempête ajoutée à la sensation cinématographique de la musique – feraient une formidable ouverture pour un film ». Red eut beaucoup de temps pour réfléchir à la chanson et cela lui inspira nombre d’idées pour l’histoire. Durant son séjour de sept mois à Austin, il conduisit un taxi et écrivit « The Hitcher ». En 1983, il envoya une lettre à plusieurs producteurs hollywoodiens, leur demandant s’il pouvait leur envoyer une copie du scénario. Sa lettre concluait : « Elle (l’histoire) vous prend aux tripes et ne vous lâche pas. Quand vous la lirez, vous ne dormirez pas pendant une semaine. Quand le film sera tourné, le pays ne dormira pas pendant une semaine ». David Bombyk, responsable du développement, reçut une copie de la lettre de Red et fut intrigué par la description du film. Red lui envoya alors un script d’environ 190 pages (chacune valant traditionnellement une minute de temps d’écran).

Eric Red, scénariste de « The Hitcher »

Dans sa forme originale, Bombyk trouva le scénario « extrêmement brutal et sanglant », mais lui et son manager personnel Kip Ohman (qui deviendra plus tard coproducteur du film) y ont également vu « un niveau de défi, d’intensité et de poésie ». Bombyk et Ohman étaient très soucieux de polir le script en vue de le montrer à leur patron, le producteur Ed Feldman et à son partenaire, Charles Meeker, et leur prouver que c’était plus qu’un simple film d’exploitation. Bombyk travailla avec Eric Red via plusieurs appels téléphoniques longue distance au Texas, jusqu’à ce que l’auteur déménage à Los Angeles. Red accepta de travailler avec Ohman sur le scénario jusqu’à ce qu’il soit prêt à être montré. Feldman et Meeker aimèrent le scénario mais se demandèrent « comment pourrions-nous le traduire à l’écran sans en faire un film slasher ? » Ohman et Red ont passé six mois à retravailler le scénario, supprimant la plupart de ce qu’Ohman considérait comme une violence répétitive. Une fois finalisé, Ohman l’a rendu à Bombyk ainsi qu’à David Madden, directeur de production pour la 20th Century Fox. Quelques jours plus tard, Madden les rappela et leur dit que le scénario était « formidable ».

Une alchimie rare entre comédiens

Même si Rutger Hauer recherchait d’autres rôles que ceux d’un méchant, le scénario « m’a vraiment saisi… Je me suis dit : ‘Si je fais un méchant de plus, je devrais faire celui-ci' ». Je ne pouvais pas le refuser. » La seule réserve qu’avait Rutger Hauer concernait la scène où la jeune fille est coupée en deux et Feldman lui dit : « tu es le méchant et tu seras le pire méchant ayant jamais existé ! « 

C. Thomas Howell ne pouvait pas lâcher le script et « ne pouvait pas croire les choses qui étaient arrivées à mon personnage dans les douze premières pages. Je savais que je voulais le faire ». Il voulait également travailler avec Rutger Hauer. À l’insu de Hauer, Howell le trouvait « effrayant, intimidant et qu’il était dans un état constant de peur, presque comme s’il était vraiment John Ryder et que j’étais vraiment Jim Halsey ».

Jennifer Jason Leigh et Rutger Hauer, La Chair et le Sang (1985)

Jennifer Jason Leigh accepta de faire le film parce qu’elle voulait travailler à nouveau avec Rutger Hauer (ils partageait l’affiche du premier film américain de Paul Verhoeven, « La Chair et le Sang »), et aimait le personnage de Nash parce qu’« il y avait une vraie personne là-dedans ».

Robert Harmon, l’homme d’un seul film ?

Robert Harmon & Rutger Hauer

Pour son premier long-métrage, le réalisateur signe un véritable coup de maître. Pour son premier passage derrière la caméra d’une production cinématographique, Robert Harmon frappe fort, frappe juste, et fait montre d’un talent indéniable pour la mise en scène et la direction d’acteurs. Malheureusement, aucun de ses quatre films suivants ne renouera avec la virtuosité et la perfection de « The Hitcher ». L’œil du cinéphile aguerri remarquera tout au mieux que Harmon filmait la route comme personne, en dehors de George Miller avec sa saga « Mad Max ».

Jean-Claude Van Damme dans « Cavale sans Issue » (1993)

Il donnera tout de même à Jean-Claude Van Damme l’un de ses meilleurs films, « Cavale sans issue » (1993), réunissant un casting trois étoiles composé de Rosanna Arquette, Ted Levine et Joss Ackland, excusez du peu. Curiosité attachante dans la filmographie du belge, le métrage est totalement dénué d’arts martiaux et fait place aux bons sentiments, lui permettant d’explorer un registre différent de ce dont il avait l’habitude.

Pour aller plus loin

Le blu-ray du film est édité par Sidonis Calysta
Sortie le 12 avril 2024
Durée : 1h37

Suppléments :
Documentaire inédit sur Rutger Hauer (60 mins),
Interview de l’équipe du film (38 mins),
Livre de 60 pages écrit pas Olivier Père
(directeur cinéma à Arte France)